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L’histoire de l’Amérique latine de la fin du XIXe siècle est marquée par l’arrivée au pouvoir de nouveaux partis politiques dits « libéraux », suite à des guerres civiles qui, dans les années 1890, les opposent à des partis dits « conservateurs », et dont ils sortent généralement vainqueurs. Leur objectif commun : moderniser la nation. En Amérique latine en général, et dans les Andes en particulier, ces processus de modernisation sont pensés par des élites politiques qui prennent pour modèles les nations dites « développées ». Les États-nations doivent être consolidés, l’industrialisation engagée et les esprits préparés, pour pouvoir intégrer le concert des nations considérées comme civilisées. Ces processus de modernisation passent par des réformes économiques, sociales et politiques, mais ils doivent commencer par éliminer les obstacles au progrès. Or, en Bolivie, en Équateur et au Pérou, la composante indigène de la population, bien plus importante que dans les nations voisines, est considérée comme un facteur néfaste au progrès. Penseurs et hommes politiques se saisissent alors de la question raciale pour définir leur projet de société.
La question invite à s’interroger sur la place que prennent, dans la construction et les choix politiques de ces trois États-nations (Bolivie-Équateur-Pérou) en quête de modernisation, les courants idéologiques en vogue (positivisme, darwinisme social, évolutionnisme, hygiénisme, eugénisme) et leur récupération par les nouvelles élites politiques au pouvoir ; car si la modernité est l’objectif à atteindre, le retard est tout à la fois un diagnostic posé et un stigmate dont il faut se défaire. Dans ce passage du XIXe au XXe siècle, la supposée inaptitude ethnique à la civilisation de certains groupes humains est pointée du doigt comme l’un des principaux facteurs de retard, un véritable obstacle sur la voie du progrès et de la modernisation nationale. La réflexion sur la race et sur la citoyenneté guide les décisions politiques.
La question pose ainsi le problème des élans de modernisation économique et sociale des pays considérés, mais aussi de la place des populations dans ce processus, la façon dont elles sont perçues et « agies », et la façon aussi dont elles agissent. Quelle citoyenneté est pensée, en particulier, pour des « Indiens » restés jusque-là en marge de tous les processus de décision et de toute participation aux projets de société ? Comment la question du métissage est-elle repensée, dans un but intégrationniste ou pas ? Quelle place peuvent occuper les traditionnels exclus des constructions nationales (autochtones, femmes, populations afro-descendantes) dans ces nouveaux élans modernisateurs ?
La période analysée ici part du lendemain de la guerre du Pacifique, pour comprendre comment se reconstruisent, à l’issue d’un conflit qui semble consacrer la supériorité chilienne, la Bolivie et le Pérou, et dans quel esprit ils prétendent engager leur élan de modernisation. Elle englobe les deux guerres civiles qui ont eu lieu en Équateur (1895) et en Bolivie (1898) et les deux décennies de pouvoir politique libéral qui ont suivi. Elle va jusqu’à l’année 1925, qui marque la fin de l’hégémonie du parti Libéral équatorien au pouvoir, et signe, au Pérou puis en Bolivie, les dernières commémorations continentales du premier centenaire de l’indépendance.
Les axes de réflexion seront, pour la période et les trois États-nations considérés :
– une histoire politique et idéologique : pour comprendre ces libéralismes politiques au pouvoir, traversés par le fédéralisme, les courant anticléricaux, l’influence plus ou moins forte des courants positivistes, darwinistes, évolutionnistes et hygiénistes ;
– une histoire intellectuelle et des mentalités : celle des appartenances et des catégorisations raciales, des représentations et classement des groupes ethniques, de la présence de courants racialistes et eugénistes, de revendications et de résistances aussi ;
– une histoire socio-économique : pour comprendre la modernisation des infrastructures, de l’intégration au marché international, les formations et les rôles de nouvelles oligarchies, la mise en place de nouveaux dispositifs biopolitiques ;
– une histoire socio-religieuse et socio-éducative : comment se sont articulées les dynamiques de sécularisation et modernisation des sociétés ? Quelles ont été les politiques éducatives menées, avec quels liens entre race et citoyenneté ? Quelles modalités ont adopté les politiques hygiénistes et de santé publique ?

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